750 grammes
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La Capuche

  • : le bonhomme capuche
  • : Epicerie à bricoles. Collages en stock, phrases à tiroirs, anecdotes nocturnes et papillons.
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blablabla, blablabla, bla,

 Marseille, blabla, Rouen blablablabla Paris.

Lyon blablablabla.


et des blablas rouges aussi

(des fois).

 

une tasse de thé ?

Bienvenue sur mon blog !




 

Dans Le Fond De Ma Capuche

29 avril 2009 3 29 /04 /avril /2009 10:47
Il m'est arrivé quelque chose de très troublant ce jeudi.

J'étais dans la petite salle des bureaux centraux, où l'on regarde les livres que peut-être on va acheter, dans notre bibliothèque-médiathèque, dans notre section jeunesse des enfants.
Des caisses de livres de toutes tailles, toutes les couleurs, des documentaires sur l'antiquité, des romans d'amour, des cartonnés pour les bébés, un peu de tout, éparpillés en piles branlantes au milieu de la grande table, où l'on se sert - une cuillère de ci, une cuillère ça... Des collègues d'autres bibliothèques affairés autour de moi, sur leurs chaises, à tourner les pages, à griffonner leurs commentaires sur des cahiers blancs.
J'en étais à ma troisième pile. J'avais l'humeur rigolarde, je crois.
Je venais de me bidonner avec Olivia préparant Noël.
Je prends, parce qu'il est devant moi, parce qu'il est sur le dessus, le livre d'après - sans y penser, et c'est le livre de Charlotte Moundlic et Olivier Tallec, la croûte. Je regarde sa couverture rouge, je note vite fait sur mon calepin le petit numéro (15), je l'entoure avec mon stylo bic bleu... j'ouvre le livre.

Et là, comme un grand rideau qui tombe devant mes yeux - un rideau de buée.
Quelque chose qui monte, très vite, dans ma poitrine. De mouillé, d'enveloppant, qui me serre.
Prise au dépourvu, sans défense, contre cette émotion qui me submerge -
si j'éponge pas très vite je vais me mettre à pleurer au milieu de cette salle, sur mon tas de livres pour enfants -

Un livre magnifique, très, très beau -

J'ai tourné la dernière page avec mes yeux plein d'eau, retenue derrière des digues de carton ; je l'ai reposé sur la pile du milieu, l'air de rien, et j'ai gardé la tête baissée en attrapant La forêt des songes.

Le lendemain soir je suis passée à la librairie, et je l'ai acheté ; j'ai attendu d'être rentrée chez moi pour l'ouvrir à nouveau. Je n'avais pas passé la seconde page que mes larmes coulaient, cette fois sans retenue, à flot ; et j'ai tourné le dos à la fenêtre pour cacher mon visage.


Voir ici : http://www.soupedelespace.fr/leblog/la-croute-charlotte-moundlic-olivier-tallec/
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7 janvier 2007 7 07 /01 /janvier /2007 12:41

Ma petite maman. Je parle beaucoup de toi en ce moment. Mes mottes de souvenirs qui fondent sous le soleil le soir, ou des touffes piquantes de mauvaises herbes et d'orties. Ma petite petite maman qui tricote, étouffée sous sa montagne jaune de pulls moher. Je suis injuste souvent, et j'écris des horreurs, qui feraient couler tes larmes, quand j'écris que tu ne m'aimais pas - ma maman ne m'a pas aimée quand j'étais petite. Bien sûr tu m'aimais, tu m'aimais comme tu pouvais, moi ton reflet en minus petite souris vaguement drôle vaguement pitoyable et qui mangeait trop de chocolat. Tu aurais préféré une fille que tu n'aurais pas faite, que tu n'aurais pas élevée, que tu aurais achetée toute finie dans un supermarché, au rayon féminité, et qui ne t'aurait pas ressemblée ; elle aurait eu de longs cheveux d'or, et ses boucles auraient été retenues par des rubans rouges, immaculés ; elle aurait joué sans se salir, en chantonnant des berceuses avec une voix douce ; elle aurait levé son petit doigt en tenant toute droite sa tasse de thé et ouvert ses grands yeux bleus.
Ma petite maman.

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5 janvier 2007 5 05 /01 /janvier /2007 18:04

Quand ma mère s'est tailladée les bras avec son couteau de cuisine, il y avait deux catastrophes en jeu.

La première, c'était qu'elle meure.

La seconde, c'était que mon petit frère la découvre morte baignant dans son sang en rentrant du lycée.

J'ai répété l'inébranlable chance dure comme le silex que nous avons eue, parce que ces deux catastrophes ne sont pas advenues. Parce que l'amie est passée par là, au bon moment, à ce moment-là, pour lui enlever le couteau des mains et appeler la voiture du samu. Je le répète ici.

Dans ma tête, elle était folle, elle était hors d'elle quand elle a fait ce geste, ces gestes, qui portèrent sa main au couteau et le couteau à son bras. Dans ma tête, elle ne pouvait pas avoir pensé à Aniss, et à ses yeux quand il verrait le sang, quand il trouverait le corps. Elle n'était qu'inconscience et gouffre.

Quelle ne fut pas ma surprise quand j'ai trouvé la feuille, que l'amie avait dû glisser là comme on cache une preuve à conviction, au milieu d'un Marie-Claire, entre deux pubs pour le shampoing et les anti-rides bioformels.  Avec l'arrivée du samu, le grand drap blanc pour éponger le sang, jeté dans le bac à linge sale, avec l'angoisse, la précipitation, le couteau dans l'évier, quelques gouttes dans l'entrée. Cacher, ranger, laver, effacer ; que seul le petit bruit de la mort proche reste à planer dans la pièce, mal éclairée, comme toujours.

La feuille. Sur laquelle maman avait barbouillé une écriture toute bancale qui s'effondrait au bas de la page. La feuille sur laquelle elle avait écrit le mot pour Aniss, qu'il trouverait  à son retour du lycée. Le mot qu'elle avait écrit avant de porter la main au couteau, le couteau à son bras.

Quoi, "pardon", "je t'aime" ?

Non.

"Appelle Trou-de-balle."

Avec le numéro de téléphone portable griffonné au dessous.

Maman avait pensé qu'Aniss allait rentrer. Elle voulait qu'il rentre, qu'il la trouve ; et alors, devant son corps lourd, son corps mort, les pieds dans le sang, il aurait appelé l'amant pour lui passer le message. "Ben c'est bien fait pour toi ta faute !"

Je veux écrire que je ne juge pas et pourtant je juge, je sais bien que je juge ; en racontant tout cela je juge. Je juge la mauvaise mère qui ne rechigne pas à poignarder son enfant pour son histoire d'amour monstrueuse. J'ai envie de dire que quand elle quittait la maison dans ses engueulades brutales avec ses hommes, elle ne nous emmenait jamais, nous ses enfants. J'ai envie de dire qu'elle a crié un jour, par la fenêtre, à l'homme qu'elle aimait monstrueusement

"Emmène-les !  Je peux plus m'en occuper ! Emmène-les !"

Je suis qui pour juger ? L'une de ses filles, au front buté, qui essaie de pardonner au nom de toutes les misères qu'elle a elle-même commises, au cours de ses 29 ans de vie, au nom de toutes les souffrances qu'elle n'a pas endurées, au cours de sa petite vie de chieuse en blé. Qui essaie de pardonner mais qui se cogne, parfois, à des murs qui ne parlent pas, toute la dureté qu'elle a vu, pendant des années, dans les yeux de sa mère quand elle la regardait vivre.

Echevelée. Presque bègue. Petite autruche malhabile. Dans les jupes de sa soeur.

Je ne peux plus crier mon désarroi de vivre et l'injustice qu'on m'a faite, sans me sentir voleuse, menteuse, éhontée ; alors je hurle en montrant du doigt les coups que l'on porte à mes protégés, mes aimés ; je ne sais pas si je dois me sentir grandie de cela.

Qu'aurais-je fait de mieux à la place de ma mère dans sa vie monstrueuse ?

Je n'en sais rien ; et sans doute je n'aurais pas mieux aimé les petites créatures visqueuses qui seraient sorties de mon ventre, j'aurais fait de mon mieux, douloureusement parfois, comme elle l'a fait.

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2 janvier 2007 2 02 /01 /janvier /2007 12:03

L'histoire est comme un sac plastique plein d'eau, qui éclate.
Je la raconte.


Elle a commencé un soir, dans mon Chariot d'Or, c'est Elias qui m'a appelée, mon frère. J'ai pris le fil avec ma voix rigolarde, car je pensais que c'était rigolo, et comme Elias n'appelle pas souvent, je me suis dit qu'il devait vouloir m'annoncer un deuxième bébé, une seconde merveille du monde en route quelque part dans la couche culotte d'une cigogne, après ma Grenouille Framboise et ses yeux bleus méditerranée.

Puis la voix - la sienne, la mienne aussi - s'est infléchie dans le trouble et les vagues, et Jadd qui était dans la pièce s'est immobilisé à côté de moi et du téléphone perché. J'ai attrapé mon front. Pour pas qu'il bouge, pour qu'il reste là. Un grand truc noir est tombé lourd par dessus ma tête, un genre de tissu, ou de la poussière, du type qui tache longtemps et qui s'accroche.
J'ai voulu prendre les choses en main, dans mes mains qui glissaient ; j'ai dit à Elias j'appelle Prune, oui merci, merci d'avoir appelé ; j'ai raccroché - Jadd a dit c'est un accident de voiture ? Il avait peur dans sa voix.
J'ai dit non. J'ai remonté ma tête. Elle a essayé de se suicider.
C'était le 21 mars 2006. Lundi. Un jour du printemps. On était le soir.


Je me suis assise dans le canapé. Rouge. Je me suis mise à pleurer - c'est là que le sac plastique s'est troué je crois.
Je suis retournée au téléphone ; j'ai appelé Aniss d'abord, puis j'ai appelé Prune.
Elle, elle était à l'hôpital, au CHU, elle dormait ; je l'ai vue m'a dit Elias, mais elle dormait (lui, il avait pleuré aussi, à côté d'elle, de son lit, à l'hôpital, et elle dormait).
Il a dit : elle a pris des médicaments et elle s'est coupé les veines. Il a dit : après ils vont la transférer à l'hôpital psychiatrique.
Ca va bien maintenant il a dit.


Le lendemain, le monde tanguait, comme dans une immense mer à vomir, les larmes en permanence juste au bord des yeux. Les larmes, le sang, les veines, la mort.
Je crois que c'est le lendemain, ou le jour d'après, qu'elle a été transférée à l'hôpital psychiatrique. Moi, j'avais le numéro de téléphone, j'ai appelé, pour avoir des nouvelles ; la dame a dit "vous voulez lui parler ?", et moi, j'étais pas préparée, je pensais pas, et j'ai dit oui ; j'étais assise avec le téléphone par terre sur le lino froid de la salle, et je tremblais. J'ai entendu le son de sa voix quand elle a dit allo - et elle était encore en vie.


J'ai dit "maman ?" - mes larmes se sont mises à couler toutes seules en liberté et je pouvais plus rien arrêter de ce qui sortait de là, en fleuve blanc, sur le lino froid. J'ai dit des lignes plates avec les détails matériels ; le lit la pièce la fatigue la tête les médicaments le docteur la tête le lit les médicaments les poignets le lit le ventre la nuit
avant de raccrocher il fallait que je dise et c'était facile comme les larmes qui me coulaient toutes seules maman je t'aime tu le sais ça hein et je prenais ma voix de mère - je suis la mère de la malade à l'hôpital dans son lit avec ses veines.


Je suis partie la voir à l'hôpital. C'était un vendredi. J'ai collé en pièces de pâte à modeler une énorme montagne sur mon dos ; j'ai pris le train ; il pleuvait ; le monde aurait voulu le faire exprès qu'il aurait pas fait mieux ; l'univers était gris ; et je tenais mon courage, avec ma responsabilité, dans un sac, sous écroux.
J'ai déjeuné avec Elias. On a mangé des sushis. On a parlé du sang qui circule dans les veines, et si on l'enlève, yen a plus. J'ai pris le tramway, le bus, l'hôpital était immense, une terre entière plantée de pavillons de fous tous pareils, entre les lignes tortueuses des chemins gris, des carrés de gazon ras, des voitures roulants au pas. Il pleuvait. Le médecin. L'infirmière. Je marche jusqu'à la chambre de ma mère. A l'hôpital. Blanc. Gris. Fou. Avec les odeurs.


Dans l'embrasure je la vois, elle me regarde avec un sourire dedans. Elle n'est pas triste.
Ses yeux sont enflammés, mouillés, brillants, ses bras malingres, elle est rouge, rose, brune, tout brille, de la folie ou de la joie artificielle, sous mille drogues, sa voix cassée, son corps flotte dans ses vêtements de toutes les couleurs, elle ne sent rien, plus la souffrance, ou si peut-être, elle sourit, elle rigole, elle parle beaucoup, elle est là, mais elle n'est pas là, ses yeux d'eau ou qui pétillent comme la maladie, je suis là, je suis mal, je suis folle, je fais ce que je peux, j'ai envie de pleurer, je ne pleure pas, je l'appelle maman, je lui parle, je pose des questions, je regarde, j'écoute, je fais ce que je peux, je suis fragile, je tiens, je suis debout, je tangue, j'ai envie de pleurer, je suis adulte, je suis forte, je suis à l'hôpital, je suis avec ma mère, toute petite, maigre, elle rigole.


Le lendemain, je suis revenue avec Prune.
Maman nous a serrées dans ses bras. J'ai senti ses épaules fragiles, senti comme elle est petite, trois pommes de folle, trois pommes de douleur, rose rouge brun.
Elle dit qu'elle ne va pas recommencer.
Elle est folle au coca light, et dessous, il y a la douleur.

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16 mai 2006 2 16 /05 /mai /2006 21:45


Maman dit qu’elle rêve de robinets de sang. Du sang rouge qui roule, qu’on ne peut plus arrêter, et on met les mains dessous, et les mains sont pleines de sang. Maman dit qu’elle rêve de larmes, qu’elle se noie, qu’elle ne peut plus respirer et se réveille en sueur, dans des draps de sel.
On veut la mettre dans une boîte d’allumettes. Elle est trop grande, elle ne rentre pas, on la pousse on la sert on l’étouffe, et on veut refermer la boîte, toute petite, minuscule, avec toutes les têtes rouges menaçantes près de la sienne qui grondent qu’elles vont s’enflammer, qu’elles vont l’embraser, toute crue, toute nue, ridicule. Sa chemise de nuit disparaît parmi les allumettes.
Elle est la petite marchande d’allumettes. Elle a froid, ses pieds sont nus, elle n’a rien à manger et il neige. Elle craque les allumettes pour crever dans la neige (on dit que sa grand-mère vient la prendre dans ses bras pour l’emmener au ciel, où il fait toujours chaud – je n’en crois rien, et je sais que les couteaux tranchent les veines des bras aussi bien que les dents).
Maman est toute petite osseuse perdue dans sa chemise de nuit. Les larmes me viennent mais il ne faut pas que je pleure. Sa robe est trop grande. Je vais la prendre dans mes bras.
Maman est dans sa chambre, à l’hôpital. Ils lui ont barbouillé les joues et les yeux, elle est rose grotesque, ses pupilles sont éclatées – elle gargouille le coca-cola light et ses paumes sont toutes écartées vers moi. Elle me sourit. Elle est malade. Ils lui ont donné des médicaments. J’ai peur.


Maman me dit que tout va bien et qu’elle va mieux de jour en jour. Affairée, elle soulève le cristal du tourne-disque et doucement lance la mélodie apprise par cœur : « Ne vous inquiétez pas, je vais bien, je vais mieux, ne vous en faites pas. » Je m’en fais. Je sers les dents. Mon front est buté sous la montagne de capsules à larmes. Je ne les ouvre pas. Je les traite par le mépris. Je ne mange pas de ce pain-là.
Je ne réponds rien.
Je récite la mélopée apprise par cœur : « C’est bien, oui, tu as raison, je suis contente de l’entendre, tu es sûre, bon, je t’embrasse, je te rappelle très bientôt. »
Les capsules résistent. Les larmes sont là, en armures, en rang d’oignons, lances dressées vers le ciel ; elles attendent, elles piétinent.
Je ne vous laisserai pas foutre ma journée en l’air.


Maman dit qu’elle est K-O. Maman dit que c’est Aniss qui trinque le pauvre. Une pensée traverse mon esprit en courant comme un dindon fou. Dépenaillé. Aniss ! Aniss doit avoir la frousse, Aniss doit être mort de froid, de bleu froid et rayé comme de la glace, dans cette maison qui pue la mort, cette maison où les couteaux coupent des veines et chialent du sang – où les petits papiers charrient des mots de mort.
Je prends mon téléphone. J’appelle Aniss.
Sa voix sent le soleil de mars. Je ne sais pas trop quoi lui dire, j’écoute la joie qu’il coule à chaque bout de phrase sonnante.


Aniss, mon petit frère, mon grand bonhomme de cheveux, l’arbre tendre dans ma tête, mon petit frère.

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24 mars 2006 5 24 /03 /mars /2006 08:04

 

Il  y a trois jours, c'était le jour du printemps.

Ce jour-là ma maman a voulu se tuer.

Nos frimousses aujourd'hui sont pour elle.

Pour maman.

 

 

 

 

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22 mars 2006 3 22 /03 /mars /2006 08:48

 

 « Le slogan connu : « Le personnel est politique » ne servait pas seulement à affirmer que les féministes n’entendaient plus que des problèmes comme les prérogatives maritales ou la violence sexuelle restent confinés aux raffinements de la moralité individuelle, hors de portée de toute discussion politique, donc publique. Ce slogan traduisait aussi l’importance de reconstruire le moi féminin. En d’autres termes, le « personnel » représentait un projet politique aussi bien qu’un espace politique. » (p.681) « Celles à qui on déniait toute image positive d’elles-mêmes (ce qui conduisait au masochisme, comme le soulignait une bonne partie de la littérature féministe), celles qu’on jugeait incapables de discerner leur propre valeur ou de poursuivre leur propre intérêt pouvaient au moins commencer à redresser cette situation de « colonisation » ou de « négation » fondamentale, et approcher, faute de l’atteindre toujours, une forme authentique de subjectivité, grâce à ces efforts collectifs d’auto-compréhension et d’auto-reconstruction. »

 Yasmine Ergas, Le sujet femme. Le féminisme des années 1960-1980.

 

In « Histoire des femmes en Occident. » Tome V : le XXe siècle. Georges Duby et Michelle Perrot, p.683.

 


 

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20 mars 2006 1 20 /03 /mars /2006 16:37

 

Quand je suis partie à Petite Lune faire un « chantier de jeunesse », en juillet 1999, j’ai rencontré une fille qui s’appelait Sylke. Elle était rousse, couverte de tâches de rousseurs. Elle était très jolie. Elle habitait dans le Nord, dans un foyer pour mineures. Elle ne parlait que par allusions des raisons qui l’avaient amenée dans ce foyer, où elle était sous tutelle et sous surveillance de la loi. Aux références à la maltraitance, au détour d’une phrase, se mêlait les bribes de « grosses bêtises » qu’elle évoquait en roulant des yeux. On était devenues assez proches. Je l’aimais beaucoup. Quand je suis sortie avec Julien nous nous sommes éloignées. Julien m’a dit qu’il pensait qu’elle était amoureuse de moi. Je ne sais pas s’il avait raison. A l’époque je ne pensais pas, plus ou pas encore à ça. Ca m’était passé complètement au-dessus de la tête. Elle avait une forte personnalité, une voix grave, elle rigolait beaucoup, faisait le clown, parfois elle m’intimidait. Julien disait qu’elle était mythomane. Moi je me foutais de savoir si elle l’était ou non. Je me foutais de savoir si ce qu’elle me racontait était vrai, ce qui m’importait, c’était qu’elle me le raconte, et que je l’écoute. Je n’avais pas l’impression qu’elle se moquait de moi – quand bien même tout aurait été faux. Si elle avait besoin de me raconter ça, il fallait que j’accueille tout. Je me disais que je ne la reverrai peut-être jamais, que ça ne changeait strictement rien si c’était vrai ou faux. Je ne l’ai plus jamais revue.


Elle.
Le mensonge est une autre façon de se taire, un pis-aller, une façon de survivre quand même, car pour vivre on a besoin de parler – un peu au moins. Mais si on raconte n’importe quoi ça fait moins peur.
Brouiller beaucoup de pistes sur le disque dur de sa tête. Elle ne sait plus qu’elle a dit ce qu’elle a dit. Et parfois, qu’elle a fait ce qu’elle a fait. Je crois qu’elle a un peu le sentiment d’être persécutée. Qu’on lui veut et fait du mal, qu’on ne la regarde pas, qu’on lui marche dessus, et qu’on s’en fout.
Quand elle parle de son symptôme « des mots », elle ne parle ni de son impuissance à dire, ni de ses petits arrangements avec la réalité. De cela, il n’est jamais question. Mais une manie qu’elle a, dit-elle, de toujours et infiniment jouer avec les mots. La passion et l’obsession des jeux de mots. Comme, par exemple, taire – terre : se mettre en taire quand son père est mis en terre.


Elle ne vise pas seulement cela quand elle parle de « sa place ». Elle parle de légitimité, de place où l’on assoit, où l’on reste, d’où l’on parle et où l’on existe. D’espace où respirer et de sol sous les pieds. Elle me dit qu’elle a toujours l’impression que les autres ont raison, qu’ils savent mieux qu’elle, qu’ils savent pour elle. Elle se tait, plie l’échine. Elle ne connaît pas la mesure de son droit à exister et à parler, à choisir ; elle pense qu’elle doit se tromper, se perdre, que oui, sûrement, les autres savent mieux qu’elle. Je lui demande timidement à quoi elle pense quand elle dit cela.

…………..

Mon cœur se sert. Les mots se collent dans ma tête, ils restent serrés contre mes dents et je ne les souffle pas, je me tais et j’attends juste ce qui vient après. Dans cette phrase dort toute ma peine.
Elle dit qu’à force de rebondir à l’infini de mot en mot, en se bornant au jeu et en ne dépassant jamais la surface du mot, elle ne peut pas avancer. Elle tourne en spirale, saute de mot en mot comme une grenouille – sur des nénuphars rigolos, mais vides. Elle a tellement joué avec ces mots, qu’ils ne livrent plus rien, juste de la musique. Ils ont été vidés de leur charge émotive, de leur violence. C’est ce que maman me dit.

 

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