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La Capuche

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Dans Le Fond De Ma Capuche

31 décembre 2005 6 31 /12 /décembre /2005 09:28


Je devais avoir quatre ou cinq ans quand papa nous emmena au cirque.

    Pas le Cirque d’Hiver non, le vrai cirque, celui de toutes les autres saisons – avec ses acrobates, ses clowns, ses dresseurs de lions. (C’est sans doute à peu près à cette époque que papa, Avril et moi sommes allés voir le spectacle d’Emilie Jolie au Cirque d’Hiver. Etait-ce la distribution originale ? Georges Brassens ne pouvait pas faire le hérisson en tout cas. Je me souviens que le costume de l’Oiseau lui collait dangereusement aux bonbons et que je m’étais demandée pendant toute la représentation si ce monsieur était tout nu.) Nous sommes donc allés au cirque, sous un grand chapiteau, sans doute rouge avec un peu de jaune, descendant en araignée piquée de mats de fer.

 
 Je n’ai aucun souvenir des numéros de dressages, des animaux, de Monsieur Loyal, à supposer qu’il y en ait eu (mais je suis presque sûre que oui) ; et je ne saurais dire ce qui, dans l’incroyable bric-à-brac en piles enchevêtrées de mes archives personnelles, est dû à cette représentation-là, et ce qui fut photocopié d’autres spectacles – lus vus racontés ou rêvés. En revanche je sais et je suis sûre que deux des numéros présentés furent pour moi deux enthousiasmes, et presque deux révélations : le numéro de clown, et le numéro de trapézistes.

   La troupe de trapézistes était composée de femmes et d’hommes tous étiquetés dans mon souvenir comme « Chinois » (originaires d’un quelconque pays d’Asie, donc). Ce sont les jeunes femmes qui attirèrent mon attention. Elles étaient petites et graciles, comme peuvent l’être des professionnelles de la gymnastique : très fines, très souples, très légères. En tant qu’artistes de cirque et trapézistes, elles portaient tous les attributs de ce qu’on pourrait appeler « la grâce » : et je sais que cette grâce frappa mon esprit d’enfant. Elles devaient porter une sorte de justaucorps bleu ou rose, peut-être piqué de paillettes cristallines ; leurs cheveux étaient sans doute tirés en arrière comme ceux des petites danseuses du classique en ballerines ; j’imagine aisément leurs gestes souples, déliés, aériens, le maintien de leur tête, leur sourire un peu figé donnant l’illusion parfaite et fluide du naturel. Pour les cinq ans de ma tête de pioche, c’était la pure clarté de l’évidence : « elles étaient belles ».

  Je ne me souviens pas du numéro de clown de ce cirque-là. Ni même s’il m’a fait rire. Je me souviens tout juste de cet amour démesuré que je commençais alors à éprouver pour les clowns Auguste. J’apprenais à cette époque qu’il existait deux sortes de clowns : les clowns blancs, élancés, contenus, raisonnables, moralistes, et les vrais clowns : les clowns Auguste. Je ne sais si Avril participa ou approuva ce classement, mais il fut clair pour moi que ma grande sœur devait être le clown blanc, et moi l’autre clown – c’est d’ailleurs durant ces années que je prononçais cette phrase qui fit tant rire mon père : « Avril elle est maniaque et moi je suis bordélique » (je ne comprenais pas, sur le moment, ce qu’il y avait de drôle à ma remarque : il me semblait que tout le monde le savait bien, et que c’était ce que l’on disait en permanence autour de moi ; j’étais contente (un peu fière) des rires que je suscitais, mais je n’en saisissais pas la raison ; je sais aujourd’hui que c’est le mélange de clairvoyance et de grossièreté qui parut incongru dans la bouche d’un marmot (d’une marmotte)).

  Dès lors naquit et se développa en moi une double certitude quant à mon avenir, ma vocation, mon appétit dans la vie : je voulais être clown et me marier avec une Chinoise (il est amusant de noter que ce qui retint mon attention, dans la troupe de trapézistes, ne fut nullement leur métier ou leur art mais leur origine ethnique supposée : pour moi leur grâce et leur beauté n’était pas à mettre au compte de leur pratique du trapèze mais bien dues à leurs yeux bridés).

  J’ai le souvenir très vague d’avoir expliqué cela à un ou une adulte de mon entourage, peut-être s’agissait-il de mon père. Devant l’incohérence patente de mon désir, la raison adulte me proposa deux solutions : je pouvais soit devenir trapéziste (l’adulte ayant rectifié mon erreur de jugement (étant entendu que je ne pouvais devenir chinoise)) et me marier avec un clown, soit devenir une clown et me marier avec un trapéziste – ou un Chinois.

 Mais aucune de ces alternatives ne me convenait. J’aimais la grâce des petites danseuses du trapèze, mais je n’avais aucune envie de devenir comme elles – ou peut-être sentais-je déjà que je n’étais pas comme elles, que je ne serai jamais comme elles (leur caractéristique principale (la beauté, la légèreté – la grâce) étant renvoyée dans mon esprit à une caractéristique d’être et non de travail : être chinoise, je ne pouvais en aucune façon devenir comme elles (il n’y avait même pas à se poser la question). Je ne pense pas, du reste, avoir jamais vraiment souhaité « être gracieuse », ou seulement par dépit : parce que je voyais les avantages qui m’étaient refusés au titre de mon imparfaite féminité, de ma non congruence avec le schéma de la jolie petite fille (en classe de CE1, par exemple, quand il devint évident que ma maîtresse affectionnait les mignonnes fillettes en robe et m’ignorait moi, l’as de pique en salopette.)).

 Je ne voulais pas non plus me marier avec un Chinois ou un trapéziste. Je savais bien que les attributs que je chérissais chez mes frêles acrobates n’étaient appréciables que dans un corps de fille – je ne le savais pas intellectuellement bien sûr (j’avais cinq ans), mais je le sentais profondément, évidemment : un homme qui serait tout petit, mince, léger, et gracieux, ça ne me disait rien qui vaille. Ca ne m’intéressait pas.

 
 Mais mon problème le plus insoluble, dans tout cela, c’était qu’une femme clown n’était pas tout à fait un clown, ne collait pas vraiment, quelque chose continuerait toujours à clocher.

 
Ce dernier problème ne se posa pas réellement à moi à cette époque, car je n’avais alors pas totalement intégré le fait que j’étais une fille, avec le fatras de conséquences, ricochets, suites, fruits et corollaires de cette catégorie : « fille ». Je parlais de moi au féminin, je savais que j’étais une fille si on me le demandait, je savais qui autour de moi était une fille, et qui un garçon, mais je ne faisais pas découler grand chose de ce constat : « je suis une fille » - de fait on devait peu m’en demander, et papa ne faisait pas de considérations particulières sur le fait que je sois belle ou pas belle, bien ou mal habillée, mal ou bien coiffée, coquette ou débraillée : à cette époque, j’étais capable d’identifier une image de la beauté féminine idéale (la trapéziste chinoise) sans pour autant éprouver ma distance avec elle comme une souffrance ou un problème. Je crois qu’avant de me percevoir comme une petite fille, je me percevais comme un enfant, et comme Ox : cette petite personne avec un nom bizarre qui dessinait des Pandas (et pas des princesses), timide et vaguement fantastique parce qu’elle avait beaucoup d’imagination ; je faisais de grandes peintures en orange – et pas en rose layette. Je ne me prenais pas pour un garçon, je ne voulais pas être un garçon : seulement, je me vivais d’abord et avant tout comme moi, et pas comme un moi sexué(e).

 
Plus tard j’ai quitté ce statut de simple enfant (au neutre, au générique), ce statut de petit bonhomme (tout rond, bonne bouille, tee-shirt et sous-pull, cheveux courts en bataille), et avec les années je suis devenue socialement une petite fille. J’avais oublié depuis longtemps ma vocation de clown, mais si on me l’avait rappelée, il m’aurait apparu qu’une femme clown ne colle pas. (Et aujourd’hui encore, il m’apparaît qu’une femme clown ne colle pas).

 
Un clown n’est pas sexué, n’est pas particularisé, un clown c’est comme un bonhomme ; c’est comme si on avait mis « une ourse » dans « Mais je suis un ours ! » : on se serait demandé pourquoi une ourse (les ourses dans les histoires sont le plus souvent des « mamans ours »). Ce n’est pas, bien sûr, que je considère rationnellement que « clown, ce n’est pas un métier pour une femme ». Mais pour moi (et bien malgré moi) une clown femme sera toujours une bizarrerie, un artefact – pas un vrai clown Auguste, pas cette figure que j’aime et je chéris (j’ai d’ailleurs pu vérifier tout récemment l’acuité de ce sentiment à l’occasion d’un reportage télévisé sur Annie Fratellini : elle y apparaissait avec un nez rouge, une perruque rousse flamboyante et une salopette bouffante ; elle était magnifique, et pourtant je ne pouvais réprimer au fond de moi le petit insecte de conscience qui me disait : ça colle pas, c’est pas ça, c’est pas ton clown Auguste).

 
Voilà donc où j’en étais : si l’on voulait traduire cet embrouillamini d’attachements en langage freudien, on dirait : je m’identifiais au clown, je désirais la trapéziste. On me disait de m’identifier à la trapéziste, cela m’était absolument impossible. On me proposait de travestir le clown en femme, je voyais bien que ça ne tenait pas debout. Il eut fallu pour être un bon modèle de freudisme que je m’identifie au pôle féminin (la grâce) et que je désire le pôle masculin pour devenir comme il se doit une juste femme hétérosexuelle. Seulement dès le début quelque chose clochait : c’est le dresseur de lions (par exemple) qui aurait le mieux incarné l’idéal du masculin : la force, le courage, la maîtrise. Moi c’était le clown que je voulais être, le gros pataud là-bas qui se prend les pieds dans les bretelles de son pantalon et se ramasse les tartes sur sa trombine peinturlurée.
 

Le clown n’est pas sexué (ou sur un mode très différent : en manque, en creux) : il ne colle ni avec la féminité ni avec la virilité, il est le bonhomme, il est le neutre (et comme tel il ne peut pas être une femme qui n’est jamais neutre).

 

Je m’identifiais avec ce gros neutre – décalé.

     (Je me sentais avec bonheur neutre et décalée).

  

 Je me rappelle les noms de deux clowns (étaient-ce les deux clowns de cette représentation dont je garde le souvenir ?) : Prosper et Chocolat. Sur le premier vient se greffer un autre souvenir, plus tardif : « Prosper Youp la boum, c’est le roi du pain d’épice… » (Je revois les portions individuelles de pain d’épice emballées dans du papier d’argent sur lesquelles étaient dessinées en marron des grimaces de Prosper. Les rectangles de pain d’épices étaient striées de couches gluantes et brunes qui ressemblaient à du sirop d’érable.)


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

  

 

        

 

  

 

           

 

  

 

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