Deux fois presque de suite, je suis allée voir ce film qui m'a si fort bouleversée (avec la violence de la passion affective dedans, et des transports de coeurs : "Wouaaaaaaaaaaaaaah... c'est TROP bien le kiffe de l'accroche à ma pensée fébrile, des fraises dedans - les feux d'artifices de mon coeur qui se soulève") :
Le Labyrinthe de Pan.
Guillermo Del Torro.
Elu par mes soins soigneux lustrants d'enthousiasme : le film féministe de l'année.
Le personnage de la mère, Carmen, est l'infirme amputée / handicapée / blessée / meutrie / rendue impuissante par sa féminité (par le moyen de...)
Enceinte, d'une grossesse qui lui fait mal, qui la rend impotente, et qui la tuera. Elle pose le pied sur le sol du "mari" (nouveau mari, l'homme qui se l'approprie) : aussitôt il lui impose le fauteuil roulant ; elle commence par refuser, puis cède. Elle passera tout le film dans ce fauteuil, avant de crever dans le sang et les cris. Premier acte que fait le mari dans ce film : transformer Carmen en infirme.
Carmen n'est qu'un ventre, un ventre à porter des mâles ; faite si faible (pas par la nature mais par un homme), elle n'a d'autre choix que de se faire esclave. Le tout petit choix ridicule de ne pas arriver à rester seule à la force de son poignet. Se vendre. Détruite.
Et la petite de déclarer, quand Mercédès lui chuchote que "c'est parfois difficile d'avoir un enfant" : "alors moi j'en aurai jamais". Poings serrés.
Mercédès, autre figure de femme, magnifique, grandiose ; la lutte, le courage, le front qui tient bon, qui tient fort. La résistante debout.
Quand elle est découverte, capturée, ligotée, affublée comme un gigot qu'on s'apprête à torturer, elle lance : "vous ne vous êtes jamais méfié de moi, parce que j'étais une femme" ; et quand elle se défend, c'est avec un couteau - arme éminemment phallique ; c'est au corps à corps, et avec une sauvagerie entière et non entamée, en gueulant : "je ne suis pas un vieillard, je ne suis pas une infirme !"
Elle entaille le visage de l'homme, pour lui dessiner ce sourire effrayant que le tueur masculin du Dahia Noir découpait sur ses victimes féminines.
Quand elle est prise en chasse et se fait encercler par une armée de fascistes, elle commence par tourner son couteau, son arme minuscule, vers les autres ; et quand devant les fusils elle réalise que cette menace pèse de peu de poids, elle retourne le couteau sur elle, sur sa gorge, ultime façon de lutter, de résister - traditionnellement virile : l'homme qui se dresse est capable de mettre sa propre vie en jeu - il est au-delà de la peur de mourir, peur du vivant et de l'animal, il se fait ainsi sujet. Mercédès aussi est sujet, sujet magnifique qui me tire les larmes.
La petite Ofelia n'a que faire des jolies robes carcans à rubans, des chaussures vernies ; elle sait affronter d'abominables peurs primales, elle se traîne dans la boue, dans la glu, dans la merde, elle rampe, elle avance, elle tient et retient son souffle.
Les livres sont ici le moyen d'échapper au dressage à la féminité, comme c'est souvent le cas pour la masculinité ; quand des petits garçons intellos nuls en foot squattent leurs chambres fermées pour s'engouffrer dans leurs livres, Ofelia boude ses toilettes soyeuses la tête dans ses contes de fées.
Dans le ventre de l'arbre, les cloportes escaladent ses bras et ses jambes, viennent zig-zaguer sur ses joues de petite fille ; son courage me coupe le souffle.
Tellement d'autres choses que j'ai aimées dans ce film - je pourrais écrire ici que j'ai tout aimé, en bloc, qu'il porte avec ses couleurs ses musiques la chanson de sa langue des valeurs qui résistent, des valeurs droites, auxquelles je veux coller - un courage ineffable, le courage d'Ofelia, de Mercédès, du médecin, du bègue.
Une vague d'émotions puissante qui me tient au ventre.
(Je t'aime Ofelia. Je suis avec toi, et je veux être un peu de toi.)
Ca me donne du courage pour ma vie comme si j'avais rencontré des vrais gens. Pas pour se masturber avec des expressions vaseuses, mais pour de vrai, qui flirte avec des choses sérieuses : en vérité crue, quand j'ai un cafard noir qui me ronge les os de la tête, penser à Nenene Sumiregawa me remet d'aplomb, me redonne.... des choses utiles : de la joie, de la force.
Que ces mondes-là existent et qu'ils soient beaux, une île de réalité qui consiste en elle toute seule, un éclat, une ressource.
Des frères et des soeurs.