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La Capuche

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Dans Le Fond De Ma Capuche

22 décembre 2005 4 22 /12 /décembre /2005 16:53

 


Il y avait sur le bureau de mon père un numéro assez volumineux du magazine Elle. En couverture, Laetitia Casta nue sous l’eau. Papa achète régulièrement des exemplaires de la presse dite féminine, en général pour les photos (d’Emmanuelle Béart ou Laetitia Casta à poil), ou pour les idées de décoration (il achète Elle Idées ou Marie-Claire Maison). Ce numéro daté du 3 mai 2002 portait sur la couverture une accroche qui m’a accrochée : « Sexualité : jusqu’où les femmes vont par amour. »


Avec cette expression, « par amour », il était sous-entendu que ce n’était pas « par désir » : on allait parler de ce que faisaient des femmes, sans le désirer, pour des hommes ; des femmes qui faisaient ce que désiraient des hommes.

Je me suis demandée d’abord de quels genres de « jusqu’où » il était question, de quels espaces limitrophes, de quels marécages de la sexualité. J’ai parcouru l’article. « Zones les plus archaïques », échangisme, relation sexuelle à trois (ou à plus), films pornos, utilisation d’accessoires, position à quatre pattes, lieux risqués, ligotage, gros mots, « langage bestial » - tels sont les exemples que j’ai relevés. A la sexualité – féminine, en tous cas – était associé le thème de l’abandon : « parce que la relation sexuelle est le lieu de l’abandon et de l’oubli de soi ». Cela m’a fait penser à la discussion que j’avais eue avec Jadd au sujet d’une scène de la série Urgences, dans laquelle Harper se laissait totalement aller (au plaisir, mais aussi au « maniement » de son amant), tandis que Carter ne perdait jamais le contrôle de lui-même et de l’acte sexuel, au point de se soustraire à l’érotisme.

Les relations sexuelles à plusieurs, l’utilisation d’accessoires ou la copulation dans des « lieux risqués » ne peuvent pas en soi être associés à une notion de domination masculine. Cette relation est en revanche au minimum suspectée pour ce qui est de l’échangisme et du recours aux produits de l’industrie pornographique. Elle est incontestable quand il est question de « langage bestial ». S’il restait une ambiguïté, l’auteure de l’article précise : « parce qu’on sait qu’il relève du jeu amoureux et non de l’insulte faites aux femmes ». On voit bien de quelle sorte de « bestialité » on parle. (Traiter son amante de « salope », « pute », « chienne » ou « garce » (« t’aime ça, hein ! »), mais c’est pour de rire.) Dans la même veine, on « se découvre soumise érotiquement », on « tutoie le fantasme de la prostituée ».
Cette domination masculine manifeste est l’objet d’un astucieux et non moins habile retournement : monsieur Jacques Waynberg, (éminent) psychothérapeute, explique : « la soumission érotique est une autre forme de prise de pouvoir sur l’homme. Anne (chef d’entreprise, précise l’article, donc qui domine peut-être un peu trop d’hommes dans son quotidien, et a besoin pour se sentir femme de revenir aux vraies valeurs féminines), déclare : « plus il me prend sauvagement, plus il me domine et plus j’aime ça, parce que je sais que ma soumission c’est aussi ma puissance de femme sur lui. » Une telle affirmation fait froid dans le dos. Cette sorte de « puissance » là, pour ma part, je m’en passerais bien.
« Plus qu’une descente, ce fut une expérience extrême que Catherine Millet s’imposa en s’offrant à des pénétrations effrénées et multiples. Commentaires de la psychanalyste Françoise Wilder, qui lui a consacré un livre à partir d’entretiens menés avec elle durant plusieurs mois : « Elle était satisfaite de ne pas s’être sentie empêchée. Elle parlait de vacuité, de perte de soi, d’évanouissement de soi. Elle se donnait comme seule limite la maltraitance physique. Tout dépend comment on traverse cette image d’avilissement de soi et comment on en revient. Cela nous va-t-il, cela ne nous va-t-il pas ? En éprouve-t-on un sentiment d’horreur, de perte de soi ? Et si me perdre me va ? Et si nous avons reconnu dans cette perte-là quelque chose de nous, comme un enjeu de jouissance ? Certaines femmes cherchent dans le temps du rapport sexuel à être destituées à leurs propres yeux. »

Je ne peux rester indifférente à la lecture de tels articles. Je ne comprends pas comment on peut considérer comme « normal », « naturel », comment on peut ne pas s’interroger devant ce constat : certains hommes sont excités sexuellement en infligeant des violences aux femmes, certaines femmes éprouvent du plaisir à subir des violences de la part des hommes. Et ça ne pose pas question. On se contente de deux trois « c’est pour de rire », « c’est un jeu », « on a le droit », « on est bien libres », et hop.

Si je débarque, moi, avec mes gros sabots sur mes grands chevaux, et que je déclare à madame Anne-chef-d’entreprise ou à Catherine Millet « vous êtes victime d’une des formes de la violence et de la domination masculines », je leur fais violence. Elles refusent ma parole au nom de leur liberté. Elles ont sans doute raison. En un sens, oui, elles ont le droit de s’infliger cela à elles-mêmes. En un sens elles le choisissent. Et comme dit Françoise Wilder, si elles y trouvent leur compte ? Si c’est comme ça qu’elles prennent leur pieds ? Qu’est-ce que moi j’ai à dire là-dedans ?

Je crois qu’effectivement je n’ai pas à empêcher ni à condamner leurs comportements. Je peux juste condamner les hommes qui « acceptent » de leur infliger ces violences. Ce qui est condamnable n’est pas qu’elles ressentent l’envie de subir des violences mais qu’elles trouvent des hommes pour les leur infliger. Dans cette optique, ce ne sont ni les actrices de l’industrie pornographique viriliste, ni les femmes prostituées qui sont condamnables, mais le fait qu’elles trouvent des industriels et des hommes clients en face d’elles. Bien sûr cette dichotomie est complètement artificielle, car tout cela fait système ; la femme qui jouit en se faisant traiter de salope n’est pas séparable de l’homme qui prend son pied en la traitant de salope.

J’ai peur quand je pense que cette relation de baiseur / baisé(e), enculeur / enculé(e), violent / violenté(e) est peut-être consubstantiel à l’acte sexuel lui-même – indépendamment des « salope ! », indépendamment de toutes les insultes, de la brutalité, des positions humiliantes, indépendamment de tout l’accidentel. J’ai peur quand je pense que cette violence est peut-être inséparable de la relation hétérosexuelle en elle-même.
Il n’est pas nécessaire, pour qu’une femme soit « avilie », « salie », violentée, qu’elle soit frappée ou insultée pendant l’acte sexuel. Il suffit, par exemple, qu’elle ait des relations sexuelles fréquentes avec des hommes différents. Elle sera alors « une salope » (ce que ne sera pas un homme dans une situation semblable). Ce sont les relations sexuelles en elles-mêmes (et non leurs circonstances ou leurs modalités) qui feront de cette femme une femme salie, avilie ; la violence ne viendra pas de choses accompagnant les actes sexuels, mais du seul fait que ces actes sexuels aient eu lieu. Si l’on se place d’un autre point de vue, on ne jugera pas que cette femme est une salope (« une femme qui ne se respecte pas »), mais on pensera qu’elle ne s’est pas protégée. Voire qu’elle cherche à se salir elle-même, à se détruire ; qu’elle exerce une violence contre elle-même.


Où est la violence ? Dans les modalités accidentelles de l’acte sexuel (les insultes, la brutalité) ?
Dans la tête de l’homme (s’il s’imagine « prendre », « posséder », « buter » la femme, alors il y a violence) ?
Dans la tête de la femme (quoique pense l’homme, tant que la femme ne perçoit pas de violence alors il n’y a pas violence) ?
Ou dans l’acte lui-même, simple et nu ?


Il y a à peu près un mois j’ai pris un pot avec ma pote Nawel à l’O.M. Café du Vieux Port. Nous avons discuté coureuses de caleçons. Elle me parlait de l’une de ses mamans d’élèves, bien sous tout rapport. Très investie dans la vie de l’école, très disponible et serviable, très sérieuse. Une maman bien quoi. Nawel était tombée de haut en entendant un quidam lui raconter qu’en son temps, la dite maman-qui-ne-l’était-pas-encore avait le feu au cul. Et Nawel de conclure sur la nécessité de faire attention, car ce genre de réputation peut nous poursuivre longtemps et nous disqualifier sur la durée. Nous prenions toutes deux la mesure du mal qu’un comportement de « coucheuse » peut faire à une femme, sur le moment et encore longtemps après. Nous condamnions ce comportement de coucheuse. Pas au nom de principes moraux (« tout le monde doit rester chastes »), pas au nom de principes sexistes (« une femme qui couche comme ça est une femme qui ne se respecte pas »), mais au nom de la nécessité de protéger ces femmes. Ca fait du mal, il faut le savoir, il faut prévenir ces femmes, et les protéger, il faut les empêcher de faire ça – les empêcher de se laisser faire ça.
En raisonnant de la sorte, nous intériorisons les normes viriles du « bon » comportement sexuel féminin. Nous intégrons les conditions du contrôle sexuel masculin sur les femmes.

Une femme qui aime faire l’amour doit-elle s’astreindre à la retenue pour se protéger elle-même ? Cela revient à se poser la question que j’énonçais tout à l’heure : la violence est-elle dans l’acte sexuel, dans la tête de l’homme, ou dans la tête de la femme ? Une femme qui aime faire l’amour et qui réussit à trouver des occasions de le faire souvent est-elle victime d’une violence ? Oui, dans la mesure où elle souffre des conséquences d’une réputation de femme facile (insultes, exclusion, risque de coups, de viols). La violence est donc dans des mots et des attitudes qui accompagnent son comportement sexuel, et non dans les actes sexuels (choisis, désirés) eux-mêmes. « Protéger » cette femme, ce n’est donc pas l’empêcher d’avoir ces rapports sexuels, mais lutter contre la profération de ces mots et l’adoption de ces comportements. Il me semble qu’en voulant empêcher les actes sexuels, nous opérons mentalement la projection de la « saleté » des jugements réprobateurs des autres, sur les actes de cette femme. Nous savons que cette femme n’est pas une salope, que l’immoralité n’est pas dans son comportement sexuel, mais dans les propos et les attitudes des autres sur elle. Et pourtant nous faisons comme si son comportement était sale et indigne. Peut-être aussi une autre considération entre-t-elle en jeu dans nos têtes (à Nawel et à moi) : la considération de l’état d’esprit des hommes qui font l’amour avec cette femme (qui aime faire l’amour). Si ces hommes pensent exercer une violence à son encontre (si, en faisant l’amour avec elle, ils pensent la baiser, profiter d’elle, coucher avec une salope), alors n’y a-t-il pas effectivement violence ? Il serait alors légitime de vouloir la protéger en empêchant ces relations sexuelles ?

Je ne sais pas. Il me semble, en tous cas, que ce qui se joue dans nos têtes de femmes (celle de Nawel, la mienne) est ambigu. Il me semble que sans que nous en soyons totalement conscientes, quelque chose de l’opprobre jetée par les autres rejaillit sur cette femme. Entre désir de protéger et tendance à condamner, nous ne sommes pas tout à fait claires.
Peut-être aussi ne sommes-nous- ou - je parle en mon nom, ne suis-je pas dupe de ce désir féminin. Comme si une volonté de faire l’amour souvent avec beaucoup d’hommes ne pouvait pas être totalement libre, totalement pure, qu’elle était forcément mêlée de violence, de contrainte, de malaise, de souffrance. C’est le jugement que j’ai opéré dans l’histoire de ma mère. Pour faire une chose pareille ou vouloir faire une chose pareille, elle était forcément malade, forcément en souffrance. Certes, ma mère était mariée et maman de deux enfants. Moralement donc, elle n’aurait pas dû avoir de relations sexuelles avec d’autres hommes. Mais c’est une chose de dire qu’il aurait été mieux qu’elle retienne son désir de faire l’amour avec d’autres hommes pour son mari, c’en est une autre de décréter que parce qu’elle ne s’est pas retenue, elle était malade et voulait se détruire elle-même (ou que c’était une salope, bien sûr). Mon propos n’est pas de dire que ma mère n’était pas en souffrance, et qu’elle ne voulait pas se détruire elle-même. Ce que je veux dire, c’est que je n’en sais rien. Que peut-être elle a fait ça parce qu’elle souffrait, mais que peut-être aussi que non.


Si l’homme pense exercer une violence sur la femme, que des mots ou actes peuvent être interprétés comme des violences par un tiers (c’est-à-dire s’il y a « quelque chose » : des insultes par exemple), mais que la femme ne pense pas subir une violence, y a-t-il violence ? Doit-on empêcher cet acte ? S’il y a violence mais que la femme réclame cette violence, doit-on laisser faire ? Faut-il poser que la femme ne la réclame pas vraiment ? Qu’elle n’est pas libre et ne sait pas ce qu’elle veut ? Comme dit Françoise Wilder, « Et si me perdre me va ? » Me perdre, me faire insulter, me faire pénétrer violemment, me faire frapper ?… Non. Je ne peux pas accepter cela. Je n’ai pas le bout de mes arguments, mais je ne peux pas.


Quand Dior et Théo sont venus passer la soirée à la maison, nous avons parlé strings. J’étais bouillamment contente de les / la revoir. J’avais mis ma tunique noire avec les broderies roses et rouges, et mes sandales thaïlandaises. Je m’étais parfumée et j’avais attaché mes cheveux en tirlis. J’ai enregistré en haut de ma tête le contact de ma joue avec la joue de Dior. J’avais fait une pile de crêpes, pour changer. Je fais toujours des crêpes quand il faut cuisiner. Avec mon magnifique mixeur, hop, quarante jolies crêpes élastiques et dorées, avec de microscopiques trous oranges.
Dior est pionne dans un collège de Marseille depuis plusieurs années. Elle prépare le concours de C.P.E. (conseillère principale d’éducation), et je suis sûre qu’elle exercera brillamment ce métier. (Brillamment, je me mets à parler comme mon père. Super bien quoi.) Elle nous a parlé de ces célèbres « Lolitas » de 13 ans qui portent des strings avec des pantalons taille basse. Elle nous disait son désarroi. Elle était fâchée contre les parents qui laissaient faire ça. Là encore, qui faut-il juger, qui condamner, qui protéger ? Les petites sont-elles des allumeuses, sont-elles manipulées, sont-elles en danger, se rendent-elles compte, mais se rendre compte de quoi exactement ?
Plus tard, j’ai demandé à Jadd ce qu’il en pensait. Est-ce que ça le choquait que de très jeunes filles portent des strings, et les laissent voir ? Il m’a répondu qu’elles pouvaient bien aller à l’école à poil si ça leur chantait, et que si elles se faisaient emmerder par des hommes, il faudrait condamner les hommes et non ces filles.

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